Hommage du Vice à la Vertu |
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Olivier Bourdin
Libéré des contraintes religieuses et familiales, l’homme moderne part en quête d’un nouvel absolu : le couple parfait du confort matériel et du confort moral.
Etre protégé du risque et de l’effort pénible ne lui suffit pas.
Aussi matérialiste soit-elle, chacune de ses envies et de ses habitudes veut la caution d’une valeur universelle.
Ce « maintenant pour soi » invoquant le « tous et toujours» est l’hommage moderne du vice à la vertu.
Le prix de l’essence est un exemple hilarant.
Le meilleur moyen d’en garder pour nos enfants c’est de la taxer (pour réduire sa consommation et différer la pénurie).
Le bon moyen de réduire la dette de nos enfants c’est encore de la taxer (accroit les rentrées fiscales de l’état tout en limitant les sorties d’argent liées à son importation)
Le bon moyen de limiter la pollution c’est à nouveau de la taxer (pour limiter une consommation qui nourrit l’envolée des prix)
Pour éviter que la rente pétrolière étouffe la diversité politique et industrielle chez les pays producteurs, la taxer est aussi l’un des meilleurs remèdes (cela réduit la demande, les prix, et les tentations d’invasion)
Bizarrement, l’électeur trouve la taxe sur l’essence fondamentalement « injuste ». Pas injuste pour les générations futures ou pour l’équilibre planétaire. Injuste pour nos démunis et lui-même. Un démuni qui a une voiture, le principe doit bien les faire marrer les chinois !
Rien à faire, l’essence à un prix « décent » est un dû. L’essence chère est une atteinte injuste à l’égalité des mobilités.
Comme pour nos autres revendications, cette vision de la justice et de l’égalité est étrangement calquée sur notre espace, notre temps et jusqu’à notre catégorie socio-professionnelle quand l’occasion se présente.
Au pied de la pompe, le citoyen porteur de leçons universelles se moque du reste du monde et des générations futures : l’essence « juste » c’est « juste pour lui ». Charité bien ordonnée commence par soi-même : les baby-boomers nous ont mis à bonne école.
Vouloir maintenant et pour soi, pourquoi pas, l’enfant de six ans ne dira pas le contraire.
Ce qui heurte la logique c’est l’incohérence de la posture.
On se réfère à des valeurs universelles qui n’en sont pas dans un discours de tolérance et d’ouverture qui qualifie pourtant de nauséabonde toute idée dissonante.
Pour Spinoza nous ne voulons pas les choses qui nous semblent belles ou justes, nous déclarons belles et justes celles que nous voulons.
Pour le politique c’est contraire: « Vous le valez bien, ce que vous voulez est juste, vous êtes le sel de la terre, ensemble nous serons les plus forts, que votre aspiration au confort moral soit sanctifié, et comptez sur moi pour trouver des boucs émissaire si ça déconne »
Projections et raisonnement passent au second plan, seules comptent les « valeurs ».
Pour le politique et le communicant, les valeurs c’est sacré. Pas en vertu d’une spiritualité cachée, tout simplement parce que c’est leur gagne-pain et qu’on ne joue pas avec la nourriture.
Pour le communicant les valeurs c’est mieux que pain béni : c’est inattaquable.
Quand tu parles au nom des valeurs, tout t’est permis et à la première mise en cause, tu clames fièrement qu’ à travers tes valeurs on attaque la dignité de ton électeur, de ton consommateur, et l’humanité telle qu’elle devrait être.
Dans leur dialogues de sourds, les partis ne cherchent mêmes plus à se convaincre que leurs choix fonctionnent mais seulement que leurs valeurs doivent dominer.
On peut écouter une personne dont la vie exprime une constance de choix qui vaut pour exemple. A l’opposé, écouter une personne qui se réclame de valeurs universelles c’est ignorer le conseil spirituel d’Auguste Detoeuf : « Méfiez-vous de l’homme qui parle pour ne rien dire. Ou il est stupide, et vous perdez votre temps, ou il est très fort, et vous perdez votre argent » .
Les valeurs du discours collectifs sont des exercices de communication.
Elles sont la transposition d’une posture, pas un horizon lumineux.
L’art du politique consiste à faire passer l’un pour l’autre.
D’autres discours sont possibles.
Bruno Garnier |
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@olivier, je suis d’accord avec cette taxation de l’essence.
Ceci dit, comme souvent, « le diable est dans les détails ».
– Premier « détail », la problématique des familles qui sont à la fois très modestes, et trop isolées pour rendre les transports en commun. De mon point de vue, une affectation ciblée de 10% des revenus de la taxe à cette problématique devrait permettre de résoudre les cas particuliers.
– La taxe s’applique-t-elle uniquement aux particuliers ou aussi aux entreprises ? Si elle s’applique aux entreprises dans une situation de concurrence internationale (ex: agriculteurs), n’y-a-t-il pas de risque de concurrence déloyale?
– Risque de distorsion du marché en faveur des énergies automobiles non pétrolières (et qui n’en sont pas nécessairement plus vertueuses) : Electricité issue du charbon ou du nucléaire, agrocarburants (gros utilisateurs de pétrochimie pour les intrants, et de gazole pour les tracteurs)
A mon sens, cette taxation est nécessaire, mais elle est complexe, il faut bien y réfléchir à tous cercles vicieux possiblement induits, et les briser.
@Bruno Pour finir, il y a cent ans les gens ne se déplaçaient pas en voiture et le vivaient très bien (tandis que la maladie, les guerres et les travaux pénibles pas vraiment). Des voitures il y en avait, mais ceux qui n’en avaient pas ne se disaient pas : comme c’est affreux, je n’ai pas de voiture ! Quand les enfants faisaient quelques kilomètres à pied ou en vélo pour aller à l’école, ils en profitaient pour se marrer ou faire l’école buissonnière ! Ils ne se sentaient pas atteints dans leur dignité parce que maman n’avait pas de voiture pour les déposer puis faire les courses au super marché. Bref, la vie sans voiture n’est pas une décadence. Celle qui nous attend le sera probablement si l’on refuse toute adaptation, y compris légère, au prétexte que tout le monde est invité à s’adapter, riche ou pas riche. |